Helheim – Campement Auxerrois

A la suite des valets chargés du matériel, des caisses, des malles, de tout un tas de choses dont on ne fera pas l'inventaire tant la duchesse d'Auxerre en campagne n'avait pas l'habitude de voyager léger, la duchesse en question ouvrit la voie et se rendit vers le champ délimité par les clôtures. Un pavillon de garde fut abordé, de brèves palabres furent échangées, le passage fut donné et le groupe obliqua vers l'espace qu'Ingeburge avait désigné de deux mots et d'un signe rapide quelques minutes plus tôt. Il leur fallait de la place et elle, elle voulait de la tranquillité.

La première tâche des serviteurs fut d'installer un fauteuil pour leur maîtresse et pour ceux qui voudraient s'asseoir; l'Auxerroise était fatiguée par le voyage mais aussi par toutes les tensions accumulées et elle avait remarqué à quelques reprises que des faiblesses la prenaient aux jambes. N'ayant guère le temps de s'intéresser à son état de santé, elle passait donc le plus clair de son temps assise, ne s'expliquant pas cette débilité soudaine et ne souhaitant pas creuser plus avant. C'est donc au repos et enveloppée dans une fourrure qu'une servante avait diligemment extirpée d'un coffret, qu'elle observa les hommes dresser le campement auxerrois, invitant la duchesse de Cany à prendre place à ses côtés. De là où elle se trouvait, elle pourrait superviser les travaux tout en devisant agréablement.

C'est ainsi qu'elle assista au dressage de l'enclos qui servirait de pré carré aux destriers qui seraient utilisés lors des joutes et des autres montures. Elle ne s'inquiétait pas pour les bêtes, Aelith-Anna veillerait à leur bonne installation et aux soins à prodiguer, en bonne petite et docile Flamboyante Maîtresse Equine qu'elle était. En parallèle, il y eut la monte des différentes tentes dont une pour chaque jouteur déclaré, une pour le matériel et une pour que la Prinzessin puisse se retirer pour se livrer aux dévotions qui l'absorbaient tout le jour à échéances régulières ou simplement se couper du monde. Des chevalets de bois étaient aussi disposés, pour accueillir selles,longes, harnais et pièces de bardes; des marchepieds étaient posés au pied de l'enclos. Les oriflammes furent déployés et ainsi flottèrent les couleurs auxerroises, doucement caressées par la brise.

Mutique et absorbée, la duchesse d'Auxerre observait tout son petit monde à l'ouvrage, bercée par le bruit des maillets maniés avec vigueur, le hennissement des bêtes puissantes, les éclats de voix des domestiques et de toute la rumeur qui, peu à peu, envahissait le campement du Lavardin.

[à travers des fleuves qui les Enfers abreuvent]

Pied à terre, le Géant se laisse guider en boitillant, main sur la bride, droit devant lui.... à la suite de l'équipage d'Auxerre, que sa jument suit.... Car oui, dans les ténèbres, donnons le change, que l'aveugle ait l'impression de savoir où il marche peut amener une impression qui dérange.... Alentours, il la sent, il l'entend, la cohue s'épaissit et grandit, pourtant, pas un obstacle soffre lui.... Gardant Carmin au coin du nez, sur l'Achéron il se laisse bercer... Tout Charon qu'on pourrait le supposer, même lui, redoute aujourd'hui de le traverser.... les Enfers.... est-il entrain d'en sortir ou plutôt d'y plonger? Mille babillage de voix ignorantes.... sur le fleuve de la douleur baigne une humeur insouciante....

Temps d'arrêt à l'écoute, comme derrière lui, un anonyme cerbère lavardineux à déjà refermé la route.... Et devant, un timbre à consonance des Pré de l'Asphodèle ordonnant que se dressent campement et tonnelles.... Ainsi s'installent les couleurs d'Auxerre, dans un quelconque recoin du Tartare, au plus profond des Enfers..... Le Tartare, oui, éternelle prison des Titans.... quelle meilleure place pour ces quelques âmes voilant à peine leur tourments?

À l'écart des étendards, à l'oreille, il dirait près de l'enclos des chevaux, le Géant laisse à d'autre le soin de monter les tentes. Les lèvres scellées, il rumine les dernières semaines, et leurs lots de choix.... Carmin avait raison, être un Salar demande plus de tripes que l'on ne croit.... Et même si souvent encore quelques larmes viennent à tacher le bandeau lui couvrant les yeux, son cœur se désencombre comme son sourire lui revient peu à peu.... Qu'est-ce qu'Orion aurait à craindre des Enfers quand il a déjà vaincu le Brûleur des Neuf Terres? Oh, bien sur, il en payera encore longtemps le prix.... mais plus il est lourd, plus l'âme grandit.... peut être, peut être pas... l'avenir sans doute, le lui dira....

Quelques murmures rassurants, des gestes posés, apaisants, l'Aveugle tâtonne les flancs de sa monture, lui flattant de temps à autre l'encolure.... Du bout des doigts, il ôte doucement le bandage de sur une large blessure.... Quelques semaines auparavant.... le choc des armées avait été implacable.... large suture barrant le poitrail puissant du cheval, la couverture gambisonnée pas plus que les mailles alors n'avaient suffit à parer les coups d'épée.... Destrier et cavaliers, pareillement couturés.... Valetaille hélée, au premier venant à passer, en commande d'un seau d'eau claire, et de quelques compresses immaculées...

lààà, doucement ma Dunamis, je vais un peu nettoyer ça et te poser un bandage propre.... la plaie n'a pas l'air de s'être 'infectée....

Le timbre toujours au plus bas, le Géant, sans vraiment s'en rendre compte, s'en vient à partager ses souvenirs à l'Aratel, comme un décompte..... Toutes ces routes partagées, toutes ses années depuis que Epona les avait présentés.... deux voyageurs, que le temps avait unis d'une même pensée....

hmmfffrrrt

Au renâcle de la jument, le Géant sourit doucement, portant la main sur sa chemise à l'endroit où la relique d'argent se cache sous les tissus, et tout le chemin qu'elle aussi, a parcouru....

Tu crois que je devrais la lui rendre hein? Tu as sans doute raison.... elle nous a protégé assez longtemps, et il n'y a plus grand chose qu'il nous reste à craindre à présent....

Peut être est-ce là, finalement, l'appel auquel il avait répondu présent..... un autre terme à poser, que puisse naître d'autres Temps....

Alors que la troupe de domestiques rejoignait les lieux indiqués par la Froide, la Flamboyante, de son côté, observait le déplacement, en retrait. Convulsivement, elle s'était mise à triturer ses mains, mordillant nerveusement sa lèvre inférieure. Ses longues mèches rousses retombant sur son visage, elle savait qu'on ne distinguerait pas son trouble, et c'était l'unique raison qui lui permettait, pour quelques secondes seulement, de le laisser aller. Lorsqu'elle se mit en marche, il lui semblait que la terre qu'elle foulait était lourde. L'air qu'elle respirait étouffant, malgré le froid qui la saisissait, donnant une légère teinte bleutée à ses lèvres. Elle ignora les tentes qui se montaient, la compagnie qui s'activait, ignorant même jusqu'à la Duchesse pour rester concentrée sur la seule tâche qui l'empêcherait de penser au malaise qui pesait sur leurs épaules comme une chape de plomb: les chevaux.
Elle regretta l'absence de Galaad.

Rapidement, les bêtes furent regroupées, dessellées, pansées, soignées. Elle fit regrouper le matériel, ordonna qu'il soit protégé contre la pluie, pointant du doigt une selle de belle facture, acquiesçant à une question posée, caressant une encolure. Ses épaules s'abaissèrent, ses lèvres reprirent leur teinte originelle, la tension disparut. Du coin de l’œil, elle observait celui qui ne disposait plus des siens, et qui malgré tout apportait à sa jument les soins qu'elle méritait. Elle n'intervint pas, ne proposa pas son aide, resta à l'écart. A quoi bon? A chaque cheval son maître.

Lorsqu'elle eut achevé d'organiser l'espace alloué aux montures, elle posa enfin un regard sur sa future suzeraine, puis chercha Irançy des yeux. Pour une fois, elle souhaitait lui parler, à lui.

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