Et d'Amboise vint la Louveterie

Bourges n'était pas loin d'Amboise. Et Amboise était presque voisine du Lavardin.
Aussi, la jeune Duchesse entreprit le voyage malgré ses navrures. Elle ruminait déjà d'avoir du se déclarer incapable de jouter à cheval et à pied. Il était donc hors de question qu'elle ne puisse au moins admirer ses pairs s'y essayer.

L'étape par Amboise lui avait permit de rassembler gens, trefs, montures mais aussi une partie de sa famille.
Sa vassale Boudicca et son neveu Gaïlen faisaient route de leur côté. Cela ne les empêcherait pas de tous se retrouver au campement, surtout après ces mois de séparation.

La variation de cadres et de codes parmi lesquels Ellesya devait se dépêtrer depuis le début de l'été lui rendait ce voyage et ces festivités presque irréels et trompeurs vis-à-vis de sa réalité. Il n'en demeurait pas moins que si elle était confrontée à la guerre et à la vie en garnison, le monde ne s'arrêtait pas de tourner et ne se mettait pas dans son ensemble à l'heure martiale. C'était de cela qu'elle tentait de se convaincre en devisant avec Miguaël entre Chateau Renault et Lavardin. Esyllt Catarina manquait toutefois dans l'équipage. Le chant des nonnes ayant été plus pressant que les mélodies des trouvères. Quant à Aldur, nulle nouvelle. Et depuis que cela durait, la Duchesse en venait à penser qu'elle avait rêvé le retour de son aîné, l'an passé.

Mais peu importait. Lavardin était en vue, selon son page. Elle se pencha pour mieux voir et sourit. Il était temps de reprendre son rôle de Duchesse et d'abandonner un temps celui de Cavalier.

Plus tard, devant le garde en faction, on annonça :

La Maison de la Louveterie a répondu à l'invitation !

La Bourgogne où le garçon vagabondait était plus éloignée encore que Bourges, mais il était venu. D'abord à Amboise, dans ce duché qui était le principal lieu de refuge de cette famille éclatée et recomposée, toujours en deuil et en souffrance, puis il avait suivi sa sœur jusqu'au Lavardin. Elle lui avait proposé d'être son écuyer, lui qui ne rêvait que de jouter comme ses parents, lui qui avait encore tant de choses à prouver. Depuis l'abandon d'Ellesya, il était déçu, pour son ainée évidemment, parce qu'il aurait souhaiter la voir briller, mais pour lui aussi : ce ne serait donc pas aujourd'hui qu'il ferait ses premiers pas sur la lice, qu'il verrait les préparatifs et les chocs, l'armement et les bris, la gloire et la chute.

Mais après tout, peu importait. Ce serait un instant privilégié, le moment où il pourrait revoir sa famille lui qui était si seul depuis des semaines. Peut-être n'était-il pas assez âgé pour prêter allégeance et pour combattre, mais il l'était pour gérer son fief tout en écoutant les conseils des riches bourgeois de son fief.
Dans la voiture qui menait une part réduite de la Louveterie jusqu'au lieu où la barbarie que l'on nommait art noble allait se perpétrer, Miguaël Enguerrand avait interpellé sa soeur :

Ellesya, sais-tu qui de nos connaissances allons-nous retrouver ? Pourras-tu me présenter à... euh... tu connais bien la noblesse du royaume ?

Ainsi s'exprima le jeune vicomte, l'excitation qui le traversait transparaissait aussi bien dans sa voix que dans ses gesticulations. Il n'arrivait pas à rester en place plus de quelques minutes. Et plus le Lavardin s'approchait, plus ses sautillements sur la banquette du coche s'amplifiait.

Si le Duché d'Amboise et celui du Lavardin étaient tout proche, on ne pouvait guère dire la même chose de ceux du Dauphiné et de Touraine...

Gerbo avait du chevaucher plusieurs jours pour raliier les terres Tourangelles, mais l'opportunité conjuguée de participer aux plus grandes épreuves de joutes du Royaume et de revoir sa famille valait bien la peine du voyage.

Les joutes... Ce serait sa première "vraie" fois; en effet, il valait mieux pour lui oublier le désastreux épisode provençal, où il avait mordu la poussière à la première lance.
Aujourd'hui portant les couleurs de la Louveterie, sa famille retrouvée, il espérait faire honneur à son nom en ne chutant pas dès le premier tour.

Et au delà de l'épreuve, il attendait de la Saint Michel des rencontres; non seulement la "cousinade" de la Louveterie,mais aussi l'occasion de croiser(le fer, mais pas que...) la fine fleur du Royaume.

Ils étaient enfin parvenu au Lavardin et attendaient les directives pour leur installation. Ce n'était pas plus mal car Miguaël commençait à la rendre nerveuse tellement son excitation transparaissait dans son attitude, son ton.
Un messager apporta dans la foulée une missive qu'elle décacheta avant de répondre à son frère. Elle la parcourut en diagonale et s'empourpra de joie. Elle la replia et se fendit d'un sourire pour le petit Vicomte sautillant. Il devait avoir un peu de mal à supporter les silences de sa soeur.

Il y aura des tourangeaux évidemment. J'ai des relations amicales avec certains. Si j'en ai l'occasion, je te les présenterais. Pour le reste, je ne sais pas trop.
Il y aura notre marraine. Et j'espère revoir une amie perdue de vue.

Elle se pencha vers lui et lui déposa un baiser sur le front. Geste anodin et affectueux mais peu fréquent chez la jeune femme. Sauf depuis qu'une jeune demoiselle l'avait apprivoisé.

Oh ! J'oubliais... Elle ne fait pas partie de la noblesse mais j'espère que sa rencontre te plaira. Il s'agit de Marine Blanche. Une petite soeur d'armes de l'Enece.

Un léger sourire tendre effleura ses traits. Elle avait failli dire "de coeur" mais les relations avec son jeune frère étaient délicates depuis la disparition de leur père. Il n'était pas temps de le braquer contre Marine en titillant sa jalousie. Elle lui adressa un sourire et ouvrit la porte du véhicule où ils avaient pris place.
Anthoyne et Gerbo étaient dehors. Son regard glissa sur ses cousins, heureuse d'avoir ses proches près d'elle aujourd'hui. Sans manière, elle descendit enfin de la voiture et tendit sa main à Miguaël.

Faisons quelques pas, veux-tu ? Le temps est beau et nous sommes ensemble. Que demander de plus ?

A force de sautillement allait-il réussir à trouver la fréquence de résonance du coche ? Allait-il réussir à faire craquer la banquette par la force de l'amplification ? Évidemment non, on ne l'avait pas assez gavé. Peut-être malgré lui allait-il trouver la fréquence d'énervement et d'exaspération de sa sœur... Mais il n'y pensait pas, tout absorbé qu'il était par le plaisir de retrouver sa famille, de ne plus être seul, de se sentir entouré, aimé.

Passé ce petit moment d'émotion mièvre de l'auteur, Miguaël répondit :

Oh ! Nous allons revoir Marraine ! Et moi je veux bien rencontrer tout le monde, sauf s'ils sont méchants ou bêtes...

Avant même de s'être rendu compte que cette dernière phrase était d'une évidence simpliste, le jeune vicomte sourit à sa sœur qui venait de lui embrasser le front. Il profita même de la position de la duchesse pour l'embrasser aussi, mais sur la joue, le front étant lui hors de portée.

Après l'épisode émotion mièvre, et celui de l'amour émouvant, peut-être allons-nous enfin découvrir celui du sang et des larmes, de l'abomination et de la détresse...
Que nenni !

Oui, marchons. J'ai hâte de découvrir les étendards et les tentes. Crois-tu qu'il y aura des jeunes nobles de mon âge ? Et des jeunes filles à marier tant qu'à faire...